Autrice, états-unienne, race sociale... : On revient sur nos choix de vocabulaire
Si vous avez déjà épluché le Bad Dico inclus dans le jeu Bad Bitches Only ou que vous avez parcouru quelques pages de notre site internet, vous avez peut-être remarqué quelques expressions qui vous ont paru bizarres…
On vous explique tous nos choix dans cet article !
La féminisation des métiers
La langue française est sexiste, il n’y a pas de débat.
Le latin, la source principale du vocabulaire français, avait ses manières de créer des noms d’agent masculins/féminins : il jouait sur l’alternance des suffixes (–us/–a, –tor/–trix…) : dominus (maitre) / domina (maitresse), cantator (chanteur, musicien) / cantatrix (celle qui chante), etc. C’est aussi de cette manière que l’ancien français a produit des noms de métier féminins. Il faut donc souligner que la plupart des métiers existent déjà aussi bien au masculin qu’au féminin.
Cependant, le problème est né de l'assimilation d'un métier féminisé à des préjugés et souvent à une consonance dépréciative : par exemple, le couturier était un créateur, tandis que la couturière était celle qui aidait.
Avec la féminisation dans l'administration publique d'emplois qui étaient toujours tenus par des hommes, on a distingué le nom de la fonction de la personne sexuée qui l'occupe, afin de conserver aux actes la même forme de signature : "Le préfet du Calvados" ou "Marie Dupont, préfet du Calvados". L'Académie française désigne le masculin comme genre "non marqué" ou "neutre".
En 1899, la féministe Hubertine Auclert déclarait :
"L'omission du féminin dans le dictionnaire contribue plus qu'on ne le croit à l'omission du féminin dans le droit. L'émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée".
C’est cette situation qui est dénoncée à partir des années 1960 par les mouvements féministes, à un moment où les femmes étaient désormais plus nombreuses à occuper des postes à responsabilités.
Après des décennies de combats féministes et un usage de plus en plus courant, l'Académie française approuve enfin, le 28 février 2019, un rapport énonçant qu'il n'existe aucun obstacle de principe à la féminisation des noms de métiers et de professions.
Mettre fin à l'invisibilisation des femmes dans la langue française, c’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’utiliser au maximum des alternatives féminines aux noms de métiers dans le jeu. Vous trouverez donc des femmes politiques, cheffes, escrimeuse et … autrice.
Pourquoi autrice plutôt que auteure, qui existe aussi ?
Tout simplement parce que autrice a précédé auteure ! Eh oui, le mot existait déjà à la Renaissance, avant d’être proscrit au XVIIe siècle par l’académicien Guez de Balzac.
Aujourd’hui, “autrice” est accepté au Scrabble et est entré dans Le Robert. Utiliser "autrice", c’est permettre à la langue d’être fonctionnelle et de la débarrasser des siècles de sexisme et de misogynie. Puis nous on aime bien l’idée que le féminin puisse s’entendre !
Etats-unien.ne, afro-états-unien.ne, race sociale
Etats-unienne, voilà un mot qu’on entend pas souvent. Pourtant, il est très courant en espagnol. Dérivé du mot Etats-Unis, il permet de remplacer le mot "américaine" pour désigner les ressortissantes du pays. En effet, l’Amérique s’étend au-delà des Etats-Unis et les autres pays du continent, en particulier les pays hispanophones, ne l’oublient pas, d’où l’idée du mot "états-unien.ne".
Connaissant l’histoire d’impérialisme des USA dans les Amériques, nous avons pensé qu’il était important de faire cette différenciation entre continent et pays.
Maintenant pourquoi afro-états-unien.ne ? Vous l’avez peut être remarqué, lorsque les personnalités du jeu avaient une double nationalité ou une double identité, nous l’avons noté. Tout simplement parce qu’il nous semblait important de célébrer les identités multiples et riches qui nous constituent.
Aux Etats-Unis, l’histoire de l’esclavage a enlevé cette possibilité d’identification à tou.te.s les descendant.e.s d’esclaves. L’identité afro-états-unienne s’est alors créée pour remplacer ce manque et affirmer cette identité unique. Nous avons donc décidé de reprendre cette dénomination ("afro-américaine" étant l’expression la plus courante, mais on vous a déjà expliqué notre logique).
On a aussi beaucoup réfléchi à la notion de race sociale versus nationalité. Le terme "race sociale" permet de différencier cette construction sociale bien réelle qui impacte la vie des gens de la notion raciste de "race biologique" qui divise les individus selon des critères biologiques.
La race sociale est bien évidemment importante dans la construction d’une identité et va impacter la vie de la personne de plein de manières différentes. Mais le terme de "race sociale" se confronte à diverses problématiques : les questions de bi-racialité (ou tri ou plus), de white passing, de multiples définitions différentes selon les pays (que valent les mots "asiatique" ou "noire" pour des personnes qui vivent en Chine, au Brésil ou au Mali?)...
Finalement, la nationalité nous a semblé être une caractéristique plus facilement définissable et qui rend, au moins partiellement, compte des identités multiples des personnalités du jeu.
Bien sûr, tout choix est discutable et celui-ci ne rend pas nécessairement justice, notamment dès que l’on rentre dans les cas particuliers.
Identités diverses
La question s’est également posée pour tous les autres critères qui peuvent définir une identité : orientation sexuelle, identité de genre, handicap, etc.
Si vous avez le jeu entre les mains, vous l’aurez remarqué, nous n’avons pas indiqué nécessairement tous ces critères pour toutes les personnalités du jeu. Alors pourquoi ?
Tout d’abord parce que nous rejetons l’idée d’une identité neutre qui participe à la construction d’un autre. La société définit aujourd’hui la personne blanche, la personne valide, la personne cisgenre, la personne hétérosexuelle comme la norme, et les autres identités comme des "autres". Nous rejetons cette idée.
Ainsi si nous avions voulu indiquer sur les cartes ou le Bad Dico quand une personnalité est trans ou lesbienne ou bie, nous aurions dû indiquer également pour toutes les autres personnalités qu’elles sont cis ou hétéro. Cela apportait une certaine lourdeur au jeu que nous n’avons pas voulu.
Cependant, ne pas l’indiquer du tout nous paraissait tout autant problématique puisque cela effaçait des pans importants de la vie de ces Bad Bitches que nous voulons honorer et célébrer. C’était tout autant invisibilisant.
Le compromis choisi a donc été d’indiquer ces identités quand elles étaient pertinentes, quand elles avaient été marquantes dans la trajectoire de la Bad Bitch, été incorporée à son travail ou discours, etc. Bien sûr, ce n'est pas la solution parfaite, mais nous faisons tout pour célébrer ces identités sans essentialiser les personnes.
Nous espérons que ces explications vous auront permis de mieux comprendre nos choix, et peut-être d'en apprendre plus sur les problématiques sémantiques auxquelles est confronté le féminisme ! Nous sommes toujours ouvertes aux remarques, alors n'hésitez pas à nous contacter si vous avez des suggestions.
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